Dominique CHABUEL
les 146 anciens élèves de Sainte-Marie morts pour la France, 1914-1918
Dominique CHABUEL
Dominique Chabuel est né le 30 mai 1895 à Lyon. Il est mort le 22 juillet 1915 en Turquie (le témoignage figurant dans le Livre d'Or avance la date du 23 juillet...). Il avait vingt ans.
En novembre 1914, il est incorporé au 58e régiment d'Infanterie. Puis affecté au 175e RI le 21 mai 1915. Le 30 juin de cette année, il part pour les Dardanelles, avec l'armée d'Orient, sur le front contre la Turquie.
Dominique Chabuel meurt près du camp des Oliviers sur la presqu'île de Gallipoli. Il est enterré à Sedd ul-Bahr. Il avait 20 ans.
fiche matricule de Dominique Chabuel
fiche matricule de Dominique Chabuel, né le 30 mai 1895
Dominique Chabuel
de Lyon
Élève de Sainte-Marie de 1907 à 1910, Dominique Chabuel quitta le collège avant la fin de ses études. Mais il y avait séjourné assez de temps pour s’y faire de nombreux et chauds amis. Il jouissait d’un si aimable caractère ! Nous savons d’ailleurs qu’il conserva jusqu’au bout l’optimisme joyeux que nous lui avons connu.
Le charme de sa nature, inclinée vers les jouissances d’artiste, était le fruit d’une piété profonde, formée par une éducation chrétienne. Il nous en donne une preuve dans une lettre qu’il écrit du régiment, à Avignon, au moment même où il demande à partir pour l’expédition des Dardanelles, à son frère pour sa première communion :
- «Demain, tu vas accomplir un grand devoir de chrétien… Je me rappellerai toujours ma première communion. Ce jour reste toujours gravé dans ma mémoire. On se sent plus léger, plus près du Bon Dieu… Prie pour nos chers parents qui nous aiment tant ; prie pour Jean qui risque sa vie chaque jour ; prie pour moi, car bientôt aussi je serai en danger ; enfin, demande la victoire pour la France !»
Ce n’est pont cependant sur le sol français qu’il devait combattre et mourir. On avait répondu à son désir et il fut envoyé aux Dardanelles.
Le départ et l’éloignement n’altèrent pas sa joyeuse humeur. Il disait en souriant pendant la traversée : «Si nous mourons, on mettra à côté de nos noms : Morts pour la France».
Oui, ils sont morts pour la France et la France ne les oubliera pas.
Nous devons céder maintenant la parole au fidèle ami (1) qui raconte les derniers moments de Dominique Chabuel, le baptême du feu qui fut aussi le martyre :
- «Cette journée du 23 juillet a été le témoin de la mort d’un de mes meilleurs amis. Nous avions débarqué sur la presqu’île et prenions quelques instants de repos avant de prendre le chemin des tranchées.
Il nous fallait passer sur une route dominant la mer ; malheureusement, elle était repérée par l’artillerie ennemie. On passait cet endroit dangereux par petits groupes de huit à dix hommes, afin d’offrir moins de prises aux coups de l’ennemi.
Avant d’arriver à cet endroit, nous traversions un petit bois d’oliviers dans lequel étaient cantonnés des troupes au repos. Sur l’une des casemates occupées par les militaires, nous apercevons le drapeau de la Croix-Rouge et un capitaine prêtre se tenant à l’entrée. Dès qu’il l’aperçut, Dominique se mit à dire : Claude, si nous nous confessions à ce prêtre, avant d’aller affronter le feu ?
J’accédais à son désir et l’un après l’autre, après un court entretien avec le prêtre-soldat, nous reprenions le chemin de la tranchée.
À ce moment la mitraille faisait rage ; malgré cela nous volâmes plus en avant. Je fus alors séparé de lui… et un moment après, je l’aperçus environné d’un nuage de poussière produit par l’éclatement d’un obus. M’étant approché, je vis qu’il ne respirait plus. Une large plaie au-dessous du sein droit avait causé sa mort.
Le même prêtre qui ce matin même lui donnait l’absolution, récitait sur lui les prières des morts. Avant de le revoir pour la dernière fois, je l’ai embrassé.
J’ai pensé à ce moment à ses parents. Je n’avais qu’un regret, celui de ne pouvoir remplacer sa mère au chevet de son fils.
Dites à ses parents qu’il est mort en chrétien, animé des meilleurs sentiments. Je suis bien placé pour le savoir, étant son confident. Parmi les nombreux amis que j’ai eus, c’est celui que j’ai le plus aimé.
Il était essentiellement bon. Son caractère était resté très droit et très jeune. Il aurait remonté, au feu, le courage de tous, car il était plein d’ardeur et aurait prêché l’exemple.
Sa tombe se trouve près du bord de la mer, bercée par le bruit des flots qui viennent mourir sur la grève».
1 - Il s'agit de Claude Courbon, né en 1895 et mort le 6 octobre 1916 à Kenali, au sud de Monastir (Macédoine).
Dominique Chabuel est parti aux Dardanelles en juin 1915
débarquement de troupes françaises aux Dardanelles
Dominique Chabuel est mort près du camp des Oliviers, à Sedd ul-Bahr (Gallipoli)
cagna de repos au camp des Oliviers, sur la péninsule de Gallipoli
un camp français sous les oliviers et amandiers sur la péninsule des Dardanelles, 1915 (source) :
peut-être celui traversé par Dominique Chabuel peu avant de mourir ?
acte de décès de D. Chabuel, dressé par l'officier d'état civil de l'armée
transcription de l'acte de décès de Dominique Chabuel, Lyon, 6e arr., 1916
L'acte de décès de Dominique Chabuel, dressé par le lieutenant officier d'état civil du 175e régiment d'infanterie, nous apprend deux choses :
- il est mort à huit heures, le 22 juillet, au poste de secours (P.S.) du 175 RI aux Oliviers (camp situé entre Sedd ul-Bahr et les lignes de front).
- l'officier d'état civil précise n'avoir pu se rendre auprès du corps et il dresse l'acte le 25 juillet : il est donc chronologiquement manifeste que la cérémonie d'enterrement n'a pu avoir lieu qu'après cette date (et non pas le 22 juillet, jour de la mort).
l'enterrement de Dominique Chabuel ?
obsèques de Dominique Chabuel : honneurs militaires devant le fort de Kilitbahir
obsèques de Dominique Chabuel : enterrement à Sedd ul-Bahr
Ces deux tirages argentiques d'époque, montés sur carton, ont été expertisés et proposés à la vente en avril 2016 à l'hôtel Drouot. La notice accompagnant cette vente transcrivait les inscriptions figurant au bas de ces épreuves de la manière suivante : «Une épreuve située en bas à Kiliée Bahr, l'autre à Sedul Bahr», et annonçait que les scènes représentaient l'enterrement de Dominique Chabuel le 22 juillet 1915.
Cela est-il possible ?
Ce qui est retranscrit Kiliée Bahr (plus précisément Kilid Bahr) renvoie en fait à Kili ul-Bahr ou Kilitbahir (ou Kili'ül-bahir, en turc ; qui signifie la clé de la mer), nom du fort situé sur la péninsule de Gallipoli, face à Çanakkalé (sur la rive asiatique), 15 km plus au nord que Sedd ul-Bahr (qui signifie : digue/barrière de la mer).
Voici deux photos récentes du fort de Kilitbahir.
le fort de Kilitbahir sur Google maps en février 2015
(le panneau indicateur a été effacé pour qu'on puisse mieux voir la ressemblance)
fort de Kilitbahir aujourd'hui (source)
La correspondance entre le tirage argentique et les photos récentes de Kilitbahir est frappante : c'est bien le même édifice.
Or, les troupes françaises n'ont jamais atteint Kilitbahir, loin de là. Ni par voie terrestre, ni par voie maritime. Kilitbahir est toujours resté en territoire contrôlé par les Turcs.
Comme on le voit sur la carte ci-dessous : la ligne terrestre de "l'avance extrême en juillet" (1915) n'a pas franchi Krithia et la ligne maritime du "point extrême atteint par la flotte le 18 mars" est bien éloignée de Kilitbahir. [voir une autre carte du front des Dardanelles]
les fronts des Dardanelles en 1915
(source : Pierre Miquel, Les poilus d'Orient, Fayard, 1998, p. 80)
Sur la carte ci-dessous (en anglais), on a cerclé les deux endroits identifiés par la légende des photos de l'enterrement : il apparaît clairement improbable qu'une cérémonie d'obsèques françaises ait été organisée à Kilitbahir.
les fronts et les territoires respectifs des protagonistes :
Kilitbahir (Kilid Bahr, sur la carte) n'a jamais été sous la domination des Alliés
Comment les obsèques de Dominique Chabuel auraient-elles pu avoir lieu à Kilitbahir où l'armée française n'a jamais mis les pieds ? D'avril à décembre 1915, les troupes alliées n'ont jamais dépassé les 5 km au-delà de Sedd ul-Bahr. Et l'édifice figurant sur l'image est bien Kilitbahir, aucun élément de la forteresse de Sedd ul-Bahr ne présente une physionomie telle avec des créneaux.
Cette photo, avec son décor et sa légende, recèle pour le moins un mystère.
une femme à l'enterrement de Dominique Chabuel
présence d'une femme à la cérémonie des obsèques de Dominique Chabuel
tombes françaises à Sedd ul-Bahr, 1915
tombes françaises à Sedd ul-Bahr, 1915 (source)