les 146 anciens élèves de Sainte-Marie morts pour la France, 1914-1918
Claude COURBON
Claude Courbon est né le 14 septembre 1895 à Saint-Étienne. Il est mort le 6 octobre 1916 à Kenali et a été enterré à Negocani, au sud de Monastir en Macédoine, territoire du royaume de Serbie en 1914 (1). Il avait vingt-et-un ans.
Il a fait campagne aux Dardanelles et sur le front de Macédoine. Il était télémétreur à la 2e compagnie de mitrailleurs du 1er régiment de Marche d'Afrique (RMA).
1 - Voir la notice consacrée à Paul Passerat de la Chapelle, mort le 16 mai 1917 à Monastir.
la fiche matricule de Claude Courbon
fiche matricule de Claude Courbon, né le 14 septembre 1895
Claude Courbon est arrivé dans son régiment, le 58e d'Infanterie, le 14 décembre 1914. Il passe au 175e régiment d'Infanterie le 21 mai 1915 puis au 4e Zouaves le 25 mai... 1915 ou 1916 ? La fiche commet une erreur en écrivant : 25 mai 1917, puisque Claude Courbon est mort en octobre 1916.
La fiche matricule note le 4e Zouaves alors que la fiche MPLF enregistre le 1er régiment de Marche d'Afrique. En réalité, ce dernier fut créé le 1er février 1915 et composé de divers éléments dont le bataillon C du 4e Zouaves.
Curiosité : on apprend qu'il a été condamné par le tribunal de Saint-Étienne le 10 septembre 1914 à 50 francs d'amende "pour chasse en temps prohibé". Il a été amnistié, post mortem, en 1919...
Claude Courbon était le plus jeune des trois frères qui passèrent successivement à Sainte-Marie, depuis l’année 1905 jusqu’à l’année 1912. Comme ses aînés, il eut les qualité du bon Stéphanois, franc, généreux, toujours disposé à rendre service et à écouter pour rester fidèle au devoir, les observations dictées par le cœur. L’œuvre des maîtres était d’ailleurs si heureusement secondée par l’excellente direction de la famille ! La pensée des joies ou des peines causées à un père et à une mère tendrement aimés fut toujours le plus puissant des motifs pour déterminer un effort et faire accepter un sacrifice.
Claude appartenait à la classe 15 et dut partir en Avignon le 16 décembre 1914. À la suite d’une demande de recrutement en artilleurs et en dragons, il a un moment l’espoir d’être versé dans l’artillerie ; mais malgré ses instances, c’est au régiment des dragons qu’il est inscrit. Lui aussi désirait la vie militante au front ; il ne voulait point rester en arrière, au moment où ses frères étaient au poste de combat.
Une nouvelle déception l’attendait. On le retint au dépôt pour lui faire préparer l’examen d’élève officier.
Cependant ce n’est point en France qu’il est appelé à dépenser toute l’ardeur de son patriotisme. Ses chefs le désignent pour l’expédition des Dardanelles, et c’est dans l’armée d’Orient qu’il doit accomplir toute sa carrière militaire.
Peu d’incidents d’ailleurs à signaler dans cette carrière. Toute l’énergie doit se dépenser à supporter tantôt les fatigues lassantes de l’inaction, tantôt la dureté d’un climat, rude et inégal, tantôt enfin les coups de feu à échanger dans quelques attaques partielles et toujours sanglantes.
Mais à défaut de l’intérêt de curiosité qu’on trouve difficilement dans le récit de ses marches et contremarches, quelle émotion l’on éprouve à parcourir ses notes et sa correspondance ! Avant tout, il se montre plein de cœur, débordant d’affection au souvenir mille fois répété de tous les siens, sans que cette délicatesse de sentiments atténue ou paralyse le moins du monde l’énergie de son âme de soldat.
La pensée de ses frères l’accompagne sans cesse. Avant son départ pour les Dardanelles, il écrit à ses parents :
- «Ma pensée suit continuellement mes deux frères et jamais je n’avais autant ressenti l’affection fraternelle que depuis que je les sens éloignés de moi et exposés à des dangers incessants. Je dois dire qu’ils me rendent bien cette affection, par tout l’intérêt qu’ils me portent et leurs attentions délicates».
Les mêmes termes reviennent comme un refrain favori dans la plupart de ses lettres.
Quelques heures même avant sa mort, comme s’il avait eu le pressentiment d’évoquer un dernier souvenir, il eut la vision suprême de tous ceux qu’il aimait.
- «J’ai vu ce tableau de famille dans le superbe box-vindow de la Bertrandière, ce brave Vital à qui je pense souvent, et Charles, plein d’embonpoint et de gaieté, et vous tous, vers qui va mon affection».
Vous tous ! C’est bien de lui qu’on peut dire qu’il avait le culte de tous les siens, mais surtout de son père et de sa mère. Il leur devait tant, et il paraissait si soucieux de leur exprimer, en toute circonstance, sa reconnaissance la plus affectueuse !
- «Rien, écrivait-il avant de s’embarquer, rien ne pourra me faire oublier l’éducation que j’ai reçue, les principes qui doivent diriger ma vie. Je vivrai du souvenir de votre affection. Je ne serai point seul, je saurai que vous aussi vous partagez mes peines et mes souffrances, que vous vous associerez à mes joies comme à mes déboires. Je puis donc partir content, non sans vous remercier de toute votre affection. Si je vous ai fait de la peine, eh bien, je vous demande pardon…»
Un autre jour, le 15 août, il écrivait avec la même délicatesse :
- «Ces lignes, bien chère maman, seront l’expression de tout ce que mon cœur contient de sincérité et de tendre affection. Maintenant que l’âge et l’expérience nous ont donné un peu de maturité d’esprit, je viens vous dire que ma pensée la première est celle de la reconnaissance pour tous les bienfaits dont j’ai été si souvent l’objet ; les conseils, les tendresses d’une mère ne s’oublient point».
Avec ce cœur, si largement ouvert aux affections de la famille, il devait être aussi le meilleur des amis. L’une de ses grandes tristesses, en arrivant sur la presqu’île de Gallipoli, lui fut causé par la mort du meilleur de ses compagnons d’armes, Dominique Chabuel, de Lyon, lui aussi ancien élève de Sainte-Marie et tombé mortellement frappé, en plein cœur.
«Bien chers parents, écrit-il le 23 juillet 1915, c’est le cœur rempli d’une profonde tristesse que je vous griffonne ces quelques mots. Cette journée du 23 juillet, la première journée de front aux Dardanelles, a été marquée par la mort d’un de mes meilleurs amis, Dominique Chabuel ! (1)
Il est mort ! C’est la parole qui revient à chaque instant sur mes lèvres. J’en suis encore stupéfait et je me refuse à le croire, tant mon émotion a été grande. C’est une des natures que j’ai le plus ardemment aimées. Il était essentiellement bon, le cœur sur la main. Dites bien à ses parents que j’irai voir souvent sa tombe, et y réciter quelques prières comme si c’était mon propre frère».
Détail touchant ! En débarquant sur la presqu’île, les deux amis avaient dû se diriger de suite vers leur tranchée. Pour y arriver, il s’agissait de traverser un passage repéré par l’ennemi et extrêmement dangereux.
À ce moment se présente sur leur route un capitaine qui était prêtre. Avec une spontanéité vraiment admirable, Claude et son camarade lui demandent d’entendre leur confession, et fortifiés par ces quelques minutes d’entretiens intimes, ils s’engagent dans la zone si périlleuse. Quelques instants après, la mort, la terrible mort avait fait son œuvre.
À ce détail, il est facile de comprendre quelle était la foi, la piété du jeune soldat. Ses sentiments religieux étaient son plus ferme soutien et il aimait à en parler à sa mère, sachant combien cette assurance serait capable de soutenir son courage de vaillante chrétienne.
- «Vous me recommandez de ne pas oublier la foi de mes parents. Oh ! n’ayez aucune crainte. Elle est bien comme une espèce d’auréole qui m’enveloppe. Je sais bien que ma destinée est entre les mains de Dieu ; chaque jour je l’invoque et le prie d’exaucer mes supplications».
Lorsque pour la dernière fois après une permission de détente, il reprit le chemin de l’Orient, il songea à se mettre sous la protection de Notre-Dame de la Garde.
«C’est là, disait-il, que j’irai frapper à la porte du cœur du Tout-Puissant». Aussi pouvait-il ajouter sans forfanterie :
«La mort ne me fait pas peur. Je suis allé faire mes dévotions, car la protection divine est bien le meilleur bouclier du soldat». Cette parole revient souvent sur ses lèvres. Ainsi, allait-il à Dieu avec l’allure franche et décidée du combattant.
À cette source, toujours ouverte pour lui, il n’avait aucune peine de puiser sa provision de courage. Elle ne fut jamais tarie. Cependant, cette campagne des Dardanelles avait été excessivement dure ; oui «j’ai souffert», disait-il à son frère. «Je puis te l’avouer, à toi qui connais la vie du fantassin». L’année suivante, envoyé sur la frontière gréco-serbe, il est versé dans une compagnie de mitrailleurs, et le service ne cesse point d’imposer à nos braves soldats les plus rudes sacrifices.
- «Marches pénibles et forcées à travers les montagnes ; mal ravitaillés… Il n’y a pas de routes ; l’on suit de petits sentiers à travers champs… Je n’en pouvais plus ; mes pieds étaient blessés et il fallait marcher quand même».
Au milieu de ces souffrances, il pouvait cependant se rendre le témoignage de n’avoir jamais faibli.
- «J’y ai mis - il s’agissait de son devoir - toute mon énergie et tout mon cœur… Il est évident, ajoute-t-il ailleurs, que le soleil d’Orient me tanne la peau, que les fatigues sont parfois dures ; mais j’ai de l’énergie, du cœur au ventre comme l’on dit vulgairement. Toutes ces souffrances, je les supporte et les offre au Bon Dieu. Je lui demande de te protéger, mon bon Charlot, au milieu de tous les dangers que tu cours sur la terre de France».
Puis ce qui double son courage, c’est la perspective du triomphe. «Malgré tout, santé et moral excellents… on aperçoit l’aube de la victoire ! Encore quelques coups de collier et la Bulgarie sera réduite à merci ».
Cette consolation ne devait point lui être accordée.
Parti pour l’expédition des Dardanelles, revenu en France pour se guérir d’une fièvre typhoïde, heureusement conjurée, affecté de nouveau à l’armée d’Orient, pour la campagne de Serbie, Claude Courbon est incorporé à titre de télémétreur dans un régiment mixte de tirailleurs et de zouaves. «Me voici coiffé de la chéchia, écrit-il, je t’assure que si tu me voyais, tu rirais».
Quelques succès, partiels, remportés en septembre et en octobre, le remplissent de joie. Son âme de patriote est toute vibrante de fierté : «Monastir n’est pas loin ; encore une petite avance et les Bulgares obligés de battre en retraite connaîtront peut-être l’heure du châtiment !»
Que n’a-t-il pu assister à leur écrasement, préparé par tous les sacrifices, tous les héroïsmes qui ont rendu possible la victoire de 1918 !
C’est le 6 octobre qu’il tombe mortellement frappé, en pleine poitrine.
En écrivant sa dernière lettre, le jour même de sa mort, il disait à ses parents en formule d’adieu : «Je vous quitte, l’heure n’est plus aux paroles, elle est à l’action … nous partons de l’avant…»
En avant ! En haut ! Ces mots sont ceux auxquels on aime à s’arrêter pour parler une dernière fois de lui ! En avant, vers le sacrifice, vaillamment accepté ! En haut vers la récompense, sûrement réservée au soldat chrétien.
1 - Voir la notice consacrée à Dominique Chabuel.
enterrement d'un soldat français sur le front de Macédoine, 1916-1918 (source)
la mort de Claude Courbon, racontée par son lieutenant
Le lieutenant Péfourque, commandant la 2e compagnie de mitrailleuses du 2e RMA, a écrit à Marc Courbon pour lui annoncer la mort de son fils et les conditions de son inhumation :
«Aux Armés, le 12 octobre 1916,
Cher Monsieur,
Il est bien pénible pour moi de venir vous annoncer un grand malheur irréparable : ma lettre du 6 octobre ne vous disant pas malheureusement l’entière vérité.
Votre enfant n’a pas souffert : frappé à mes côtés, d’un éclat d’obus au côté gauche, il s’est affaissé en disant : "Oh les gars, j’ai mal au ventre" et a perdu immédiatement connaissance. Un pansement lui a été fait sur place et il a été aussitôt transporté au poste de secours. Il rendit, hélas ! son dernier soupir en y arrivant. Son visage a pâli mais a gardé une douce expression.
Au nom de sa famille éplorée, de ses amis, de ses chefs et de ses camarades, je lui ai dit : «Adieu !». Il dort de son dernier sommeil dans le village de Négocani, en territoire serbe, à 20 mètres à l’est de la route Florina-Monastir, devant la première maison de droite, à côté de quelques camarades morts également pour la France.
Une croix avec inscription au couteau passée à l’encre, plaque d’identité clouée, a été placée sur sa tombe, sur laquelle ses amis ont disposé une couronne en fleur du pays. Le petit drapeau tricolore du Sacré-cœur de Jésus trouvé dans son portefeuille, a été placé sur la tombe».
Claude Courbon, 1895-1916, imprimerie Théolier, Saint-Étienne, 204 p., non daté.
Claude Courbon a été enterré à Negocani (auj. Niki)
Negocani, 1917 (plaque de verre)
Negocani, 1917 (plaque de verre)
Negocani, au sud de Monastir (Macédoine)
en 1915 et 1916, Claude Courbon appartenait au 1er R.M.A.
Historique du 1er R.M.A.
en 1916, il était télémétreur à la compagnie de mitrailleurs
une section de mitrailleurs et son télémétreur (debout, au centre)
une section de mitrailleurs alpins et son télémétreur (au centre, à genoux)
la 4e section de mitrailleurs du 17 RI ; au premier plan, le télémétreur
les servants d'une mitrailleuse ; à gauche, le télémétreur
mitrailleurs à l'exercice, avec télémétreur à l'observation
un télémétreur en action, à côté de la mitrailleuse
le télémètre expliqué dans le Réglement sur les sections de mitrailleuses (source)
Claude Courbon est mort à Kenali en Macédoine (Serbie)
Claude Courbon est mort à Kenali (auj. Kremenitsa) en Macédoine alors partie du royaume de Serbie. Son régiment est engagé devant Medzidli (auj. Medjitliya) les 5 et 6 octobre 1916, comme le raconte l'Historique du 1er RMA, et ses effectifs ont été très "éprouvés".
extrait de l'Historique du 1er RMA ; il y a une erreur :
en haut de la page 52, il faut lire "6 octobre" et non "6 novembre"
Medzidli, auj. Medjitliya, en Macédoine (alors Serbie)
les engagements du 1er R.M.A. les 5 et 6 octobre 1916 (source)
carte actuelle, au sud de Bitola (Monastir en 1914)
les noms anciens (1915) et les noms actuels
le paysage des derniers instants de Claude Courbon
Negocani (auj. Niki, en Grèce)
Negocani (auj. Niki, en Grèce)
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