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école Sainte-Marie à Saint-Chamond
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23 septembre 2018

Jules DUPIN

les 146 anciens élèves de Sainte-Marie morts pour la France, 1914-1918

 

Jules Dupin, deux portraits

 

 

Jules DUPIN

 

 

DUPIN Jules, fiche MPLF

 

 

Jules Dupin est né le 24 mai 1890 à Feurs (Loire). Il est mort le 26 juillet 1915 à Linge (Alsace). Il avait vingt-cinq ans.

Après avoir bénéficié de deux sursis, il renonce au troisième et entre dans les Chasseurs alpins en août 1913. C'est dans ce régiment, le 30e bataillon de Chasseurs alpins, qu'il effectue ensuite la guerre.

Jules Dupin était un poète, un esprit délicat, féru de littérature et d'arts. Il est entré au collège Sainte-Marie en classe de 3e, venant de Montbrison, et obtient le baccalauréat en 1907.

 

 

fiche matricule de Jules Dupin

 

Jules Dupin, fich matricule (1)

Jules Dupin, fiche matricule (2)

Jules Dupin, fiche matricule (3)
fiche matricule de Jules Dupin, né le 24 mai 1890

 

 

 

Sainte-Marie, Livre d'Or, 1914-1918

Jules Dupin
de Montbrison

Nous empruntons à la Préface du Journal de Jules Dupin les lignes suivantes. Elles sont le meilleur résumé de sa vie avant la carrière militaire :

Jules Dupin est né à Feurs (Loire) le 24 mai 1890. Il passa sa première enfance à Montbrison où habitaient ses parents. Il fut d’abord placé par eux au collège de cette ville dont il suivit les études en qualité d’externe, jusqu’en 3e et où il fit sa première communion. Il entra ensuite comme pensionnaire au collège Sainte-Marie, à Saint-Chamond. Il passait l’époque des vacances, soit à Rambert-sur-Loire, dans une propriété appartenant à ses grands-parents maternels, soit en voyage.

Très jeune, il étonnait souvent son entourage par l’élévation de son âme, la vivacité de son imagination, le caractère personnel de ses idées, par son amour passionné du beau, et par la justesse de ses appréciations sur les œuvres qui le lui révélaient.

Les notes qu’il a laissées (elles forment un volume, édité par les soins de sa famille) permettent difficilement de mesurer l’étendue de ses connaissances qui plus tard devint remarquable. Ces connaissances, il ne cherchait pas à en faire étalage ; mais lorsqu’il se sentait compris, il parlait de toutes les choses qu’il aimait, littérature, musique, arts plastiques, voyages, avec un enthousiasme, une fougue, une flamme de jeunesse qui rendaient sa conversation charmante ; il savait être gai, malgré une mélancolie native qui confinait parfois à la tristesse et dont certains feuillets de son journal sont imprégnés.

Il nous semble qu’à mesure qu’on verra cette âme si ardemment éprise de beauté se découvrir dans l’adolescent, puis dans l’étudiant, enfin dans le soldat, on reconnaîtra qu’elle justifiait pleinement cette pensée d’un autre homme, mort également avant d’avoir pu réaliser les promesses qu’il portait en lui : Alfred Tonnellé :

«On éprouve un besoin d’être pur pour s’approcher du beau, et de rester pur après l’avoir contemplé».

Ces quelques lignes laissent deviner de suite que Jules Dupin appartint de bonne heure à une élite. Jusqu’à la fin, il se distingua, et en employant ce terme avec toute sa force significative, nous voulons dire qu’il tint à honneur d’éloigner de son âme tout ce qui pouvait paraître vulgaire.

 

Jules Dupin, 1905
Jules Dupin, en 1905

 

A - Le collégien

Dès sa jeunesse, Jules Dupin avait pris l’habitude de porter sur lui de petits carnets pour noter ou des pensées ou des poésies. Ceux de 1905 se rattachent à son année de seconde. De courts extraits suffiront à montrer ce qu’il était déjà ;

«Il est au collège une devise dont on ne peut se passer. Je la prends dans une chanson comique qu’on nous a dite aujourd’hui : Le devoir avant tout !»

«La joie est le salaire du travail. Je l’ai expérimenté. On est heureux d’avoir fait son devoir, pour être récompensé d’avoir fait plaisir à Dieu, d’avoir contenté ses parents, de s’être fait plaisir à soi».

La pente de ses réflexions le conduisait aisément vers Dieu et alors sa pensée se transformait en prière :

«Je demande à Dieu de l’aimer ; de faire et de souffrir ce que j’aurai à faire et à souffrir, en pensant à lui toujours, même dans les joies. Qu’il m’aide à faire toujours mon devoir».

À son année de Rhétorique, couronnée par de brillants succès, on pourrait donner comme exergue cette réflexion tracée au lendemain de son baccalauréat, sur la plage de Mimizan :

«De toute son âme ! Oh ! quelle devise pour un jeune homme : faire tout de toute son âme ; travailler, aimer, croire, espérer de toute son âme !» Ce programme, il l’avait réalisé d’une façon supérieure, et l’on sent, à ses diverses réflexions, qu’il apportait au travail de son Ascension morale, une vigueur peu commune : «J’ai l’ambition de me distinguer des autres ; cette idée m’enthousiasme ; pour elle, je vais travailler».

«Mon Dieu ! faites que je vous aime dans l’étude et le travail ; faites que vivant avec le monde, je n’aie pas la frivolité du monde, mais goûte la paix des âmes qui savent réfléchir».

Pendant son année de Philosophie (1906-1907), il semble qu’il ait cédé avec moins de résistance à cette mélancolie dont il savourait, au fond, les inspirations idéales : «Mon travail de philosophie me pèse et me fatigue, je sens que je ne suis pas fait pour ces études trop réalistes et ardues. Je ne cherche pas là mon idéal et je ne m’y intéresse pas. Pas de vie, des choses inanimés, rien qui touche à la corde sensible de l’âme…»

Ce qui ne l’empêcha pas d’être reçu bachelier en juillet avec la mention bien. Il avait alors 17 ans. Chacune de ses étapes scolaires s’était terminée par un succès solide, éclatant. En Seconde il avait remporté 12 prix, dont 11 premiers ; en Rhétorique, 15, dont 14 premiers ; en Philosophie, il obtint tous les premiers prix de sa classe et en outre le Grand prix d’honneur offert par l’association amicale des Anciens élèves.

Mais surtout il avait réalisé son programme, non point pour effacer les autres : il connaissait le prix de la bonté, lui qui écrivait alors cette belle réflexion : «Être bon, aimable, pour ceux qu’on aime, pour ceux qu’on n’aime pas, pour ceux qu’on déteste», mais pour se rapprocher d’un peu plus près de son suprême Idéal, Dieu !

 

B - L’étudiant

Suivant le désir de ses parents, il se rendit à Lyon, en novembre, afin de commencer son Droit. En même temps et pour satisfaire ses goûts personnels il préparait sa licence ès lettres (section de grammaire). Il était installé avec son frère aîné dans un petit appartement donnant sur la place Ollier, en face du Rhône et de Fourvière.

Là, comme autrefois au collège, il se plaît à consigner ses souvenirs dans son carnet. Les mêmes pensées l’inspirent et trahissent sa constante aspiration vers l’Idéal :

«J’ai la nostalgie de l’éternité… Maman me disait un jour que cette idée l’éternité lui faisait peur ! Oh ! moi, non, elle est ma vie !» Toujours saisi par la grande idée du devoir - «La science du bonheur consiste à aimer son devoir et à y trouver son plaisir » - il ne néglige rien de ses études obligatoires, mais il sait trouver le temps de lire, et de lire beaucoup. On devine où l’emportent ses prédilections, Maurice de Guérin, Laprade, Châteaubriand, Montalembert, Longfellow, Basin, de Maistre (Xavier), Perreyve, Tonnellé, ces noms se retrouvent souvent sous sa plume, et il parle avec émotion de ces lectures qui l’élèvent. Puis il goûte en artiste les nobles jouissances de l’art musical ; il se fait dans sa chambre un petit musée avec ses gravures : Vierge d’Hébert, Jeanne d’Arc de Chapu, l’Idéal sortant de la matière brute, Vierge chrétienne en prière, Anges de Raphaël, Vierge du Grand-Duc, et de ces gravures il peut dire : «Je les aime, elles me parlent et sont un peu de moi-même !»

Lorsque le travail mérite d’être interrompu pour qu’il ne se transforme point en fatigue, il va demander aux spectacles de la nature, dans de belles promenades, la détente dont il a besoin ; il la demande surtout à son cher Montbrison, à son foyer où il trouve de si chaudes affections, à cette mère qui le comprend si bien, dit-il, et pour laquelle il professe le culte d’Ozanam pour la sienne ! Aussi éprouve-t-il toujours la même peine à «dire adieu», ne serait-ce que pour quelques jours.

«Départ de Montbrison ! Oh ! ces départs si pleins de mélancolie ! Pourquoi partir ? Laissez-moi m’arrêter ! Oh ! jamais je ne jouirai bien que pendant mes longues vacances !»

On comprend, d’après toutes ces notes et ces souvenirs, que Jules Dupin fut toujours à Lyon l’étudiant sérieux, qui n’admet aucune transaction avec le mal. Après une communion, il songe, dit-il, à la beauté du jeune homme heureux de pourvoir se dire : «Mon cœur est pur, mon âme ne s’attache point aux vétilles de ce monde. Elle repousse avec horreur les grossièretés, les légèretés, les méchancetés, et les impuretés de ce monde… Soyons de ceux-là ! soyons des âmes vibrantes !»

Oui il était de ceux-là, parce qu’il voulut ressembler aux meilleurs, et avec eux «aimer le beau, le vrai, le bien follement».

Dans cette atmosphère de travail, de piété et de vertu, il assurait le succès de ses diverses études. En juillet 1908, il passa très brillamment ses examens de première année en droit, et fut reçu licencié ès lettres au mois de juin 1910.

Il donna alors une orientation nouvelle et définitive à ses études. Ses parents voyant que ces goûts l’attiraient d’une façon spéciale vers la carrière des lettres lui avaient permis d’abandonner ses études de droit. Il se consacra donc uniquement à la préparation du Diplôme d’études supérieures ; on sait que ce diplôme suppose une étude approfondie de littérature ou d’art, et Jules se mit à réunir les éléments nécessaires pour composer un mémoire sur les œuvres poétiques et dramatiques de Madame de Staël. Ce travail l’intéressa dans la mesure même de l’application exigée pour qu’il fût vraiment original. Comme toujours il le fit «de toute son âme !», et le succès fut la récompense de son travail.

Il fallait alors songer à monter encore. C’est pour se préparer à l’Agrégation qu’après les plus agréables vacances égrenées entre l’Italie, Mimizan et son cher Montbrison, il dut s’installer à Paris. On le vit donc arriver au 104 de la rue de Vaugirard, excellente maison de famille, où là aussi un directeur plein de zèle se donne pour mission de grouper une élite et y réussit pleinement : Jules Dupin apprécie de suite ce milieu distingué et intelligent : «Je suis vraiment très bien… Bibliothèque, salle de journaux, salle de bridge, bonne nourriture, camarades agréables, dont plusieurs fort intelligents».

Il y contracta les plus solides amitiés et se fit une place bien à lui dans ce groupement d’étudiants sérieux, surtout préoccupés de fonder leur avenir sur la vertu et la piété.

Paris le charma donc sans l’éblouir. Il apprit à en connaître et à en admirer les monuments ; il profita largement des circonstances, si facilement trouvées, d’entendre des écrivains de marque, de suivre d’illustres conférenciers, de faire la connaissance de ces Directeurs des Jeunes, à l’esprit assez hospitalier pour se mettre en contact avec les étudiants les plus avides de se perfectionner et de se donner un peu plus d’ouverture d’âme. À ce point de vue, la réunion du 104 est un centre des plus vivants. Ceux qui patronnent ce cercle - ce sont à Paris les plus illustres parmi les académiciens et les hommes d’œuvre - ne comptent ni avec leurs occupations, ni avec leur temps pour entrer en relations avec les jeunes. Jules Dupin sut profiter de ce patronage et se procurer ainsi d’utiles excitations pour travailler avec plus de profit et d’élan.

Puis, grâce à d’excellents camarades, il fonda un cercle littéraire, avec réunions intimes, travail en commun, revue à lancer. Désormais il écrit des articles, il fait des poésies pour les Intimités ! «Notre petite revue poétique s’annonce très bien». C’est un beau temps pour cette âme, heureuse de s’épanouir au souffle de toutes les grandes idées qui circulent autour d’elle. Aussi peut-il écrire en toute sincérité : «J’aime mes camarades, j’aime Paris, le mouvement, les jardins, les musées et surtout les églises de Paris : Saint-Germain-l’Auxerrois, Saint-Étienne-du-Mont, Saint-Séverin, Saint-Germain-des-Prés, Notre-Dame ! J’aime les merveilleuses perspectives de ses quais, de ses places, j’aime la vie qui se dégage de tout cela. Certes oui, je suis heureux, je vis ardemment, je me nourris de grandes et belles choses, et puis surtout je veux être heureux, c’est une énergique volonté chez moi».

Il aurait pu ajouter : j’aime aller à Dieu comme je me plais à courir vers toutes les manifestations de la vraie beauté. «Je viens de passer une belle nuit à la Basilique du Sacré-Cœur ! Nuit d’adoration et de calme ! J’étais heureux de me senti sans travail, sans pensée devant le Sacré-Cœur qui m’écoutait».

Il entre même dans le Tiers Ordre de Marie : «J’ai voulu entrer dans ce tiers ordre en souvenir de mon frère Charles… À dater de ce jour, 25 février 1913, je fais mon existence plus recueillie, plus pieuse, plus soucieuse de l’intégrale pureté morale, plus gaie, plus régulière en un mot, car c’est bien le propre du moine d’avoir une vie réglée.

«Les oiseaux chantent ! Le jour est levé ! Petit novice de la sainte vierge, chante, toi aussi, chante, petit poète… Tous les jours je veux écrire un quart d’heure ! Ce sera ma méditation prescrite par le Tiers Ordre».

Entre temps, il prépare des articles pour la Revue Montalembert, organe mensuel de la réunion des étudiants. Il rêve toute une œuvre qu’il voudrait appeler histoire d’âmes : Rosa Ferruci, Alfred Tonnellé, Albert de la Ferronays, Mgr d’Hulst, Maine de Biran… Ce travail l’attire, et il trouve ainsi l’occasion de monter avec ceux qu’il voudrait «de tout cœur imiter».

Enfin, il multiplie les occasions de se procurer les jouissances artistiques les plus vives, en allant visiter des sanctuaires célèbres, nos belles cathédrales du Moyen Âge ; Notre-Dame de Chartres en particulier devint pour lui une «patrie de rêve». C’est que désormais, au lieu de préparer l’agrégation ès lettres, trop contraire à ses goûts, il s’orient vers le doctorat. Pendant toute l’année 1913, il se donne avec passion à la composition de sa double thèse. Les sujets choisis expliquent ses visites aux monuments du Moyen Âge et ses lectures de prédilection. La première thèse a pour objet «Le catholicisme romantique, son histoire, son action, les hommes qui l’ont créé, défendu : Ozanam, Rio, Montalembert ; leur œuvre». La deuxième thèse sera sur «La représentation de la Vierge Mère en France dans la sculpture, du XIIe siècle au Concile de Trente, 1563».

De cette période si active, recueillons encore deux souvenirs. Le premier est celui d’un petit volume de poésies, avec ce titre significatif Ascension du Cœur, auquel il consacra le meilleur de son âme. Il lui fallait bien donner une forme vivante à tant d’aspirations vers tout ce qui est beau, tout ce qui est pur, tout ce qui est aimable. Avec un peu d’enthousiasme, il appelle son manuscrit «sa chère œuvre», et il en donne le sens :

Infatigable, il faut par les chemins perdus
Pleurer, gémir, crier, mais parvenir au but.

«J’ai mis toute mon énergie à l’atteindre, ce but merveilleux, me donnant à moi-même l’image de la vie, de la lutte pour la beauté».

Le second souvenir se rattache à ses retraites annuelles à Clamart. À la fin de chaque étape scolaire, les meilleurs d’entre les étudiants du 104, le plus grand nombre va se recueillir dans la villa Manrèze. Qui a passé trois jours dans cette atmosphère de paix et de vie surnaturelle ne saurait oublier les émotions ressenties. Jules Dupin ouvre toute son âme à ces influences divines. C’est là qu’il trace ces lignes vibrantes, sous forme de programme : «Pour que ma conduite soit plus irréprochable, il me faut être chrétien sans restriction, sûr de la beauté, de la légitimité de ma mission… Mon Dieu, je vous consacre mes forces, ma vie, mon temps, mes membres pour travailler à vous conquérir des âmes par l’art et par la poésie, cet art bien compris, cette poésie qui vient de nous et qui nous mène à vous».

Mais l’âme du chrétien, du poète doit apercevoir le calice de la souffrance, et ne point repousser d’instinct cette coupe où il devine l’amertume. Le retraitant y songe en priant :

Mon Dieu
Donnez à votre enfant repentant de vous plaire,
Donnez-lui de savoir en Vous s’abandonner,
Pour que, quand il sera meurtri par la misère,
Il soit heureux, alors, pour avoir tant prié.

Et nous arrivons à cette heure de la souffrance, du sacrifice. Heureux l’étudiant qui a fait près de l’autel sa veillée d’armes pour être prêt à toutes les immolations.

 

Jules Dupin, en uniforme

 

C - Le soldat

Il est donc parti pour le service militaire. «Poussé, nous dit son meilleur confident, par son amour de la montagne. Jules s’était brusquement décidé à devancer de deux mois l’époque du service militaire, pour avoir la faculté d’entrer dans les chasseurs alpins. Il espérait pouvoir poursuivre au régiment ses études de doctorat alors fort avancées et les terminer dès son retour à la vie civile».

Cette première année se passe sans incident notable. Il aime son uniforme : «Je suis fier d’être alpin», il se heurte sans doute et souvent aux réalités de la caserne ; mais son capitaine est charmant, mais on le félicite sur son énergie à l’exercice, mais il revient souvent se retremper à la bienfaisante influence du foyer, dans son cher Forez, mais il songe beaucoup à ses fiançailles, à son avenir ensoleillé, et il se fait dire, sous un pseudonyme facile à déchiffrer, cet appel à l’espérance :

Prie et lutte et le jour de l’éternel revoir,
Nous serons plus heureux et meilleurs l’un par l’autre ;

mais il sent qu’il peut faire du bien autour de lui, et au bout de quatre mois, il confie à son cahier cette note révélatrice : «Que dire de mon service ? J’y ai trouvé des joies et des tristesses, des gaîtés factices et des abattements terribles. Que dire ! sinon que je n’ai pas changé, que j’ai toujours gardé la même âme, celle que dépeint mon cahier depuis 1908 !»

Pour un fils aussi attaché à la vie familiale, on comprend ce que la séparation imposée par la guerre eut de déchirant. Il ne craint pas de le dire, mais il jette au-dessus des paroles de tristesse son cri «espoir et confiance», et désormais il ira en avant dans la rude montée des batailles comme il est toujours allé plus haut dans les ascensions du cœur.

Jules Dupin partit donc pour les Vosges, avec son bataillon, le 10 du mois d’août. Il avait le titre de caporal-fourrier. Le 25 septembre, il était nommé sergent. Choisi comme agent de liaison auprès de son commandant, il voit la mort de bien près : «J’ai reçu, dit-il, une quantité si grande d’obus au Col du Bonhomme que je suis étonné de vivre encore». En décembre, il est dans la tranchée, à la Tête de Faux, à 1200 mètres d’altitude, «plus près de Dieu, dit-il», et ainsi veut-il «élever son âme !» Sursum !

Dans la nuit de Noël, il prit part à un violent combat, et sa brillante conduite lui mérita d’être cité à l’ordre du jour de sa division et nommé sergent-major chef de section.

En avril, il change de secteur. Vivre dans les boyaux lui avait paru spécialement dur, à lui si avide de larges et hauts horizons : «Pensez donc, vivre en dehors de la vie civilisée, depuis si longtemps ! J’ai des nostalgies de poésie, des nostalgies d’art, de beauté, de religion». Aussi quelle sorte d’ivresse, lorsqu’il doit s’installer dans les bois : «Je suis dans une forêt remplie de chants d’oiseaux et de murmure du vent… Envoyez-moi des articles sur la musique, la peinture, la sculpture, des fragments de poème ; tout me fait plaisir». Il s’organise donc une cagna, comme un petit palais… Sur sa table, il installe ses livres : «Il y a le livre de bon papa, le livré de Prénat (1), Intimités, les Ascensions du Cœur, les Cent meilleurs poèmes, Verlaine, Péguy, etc.» C’est l’idéal toujours rêvé qu’il rapproche le plus possible de la réalité.

Le 6 juin, il est nommé sous-lieutenant : sa vie devient plus active ; il trouve même parfois que la besogne est bien lourde pour lui. Mais ce qui le délasse, ce sont des conversations élevées avec un jeune chasseur, de vingt ans, simple soldat, en qui il retrouvait ce que «le Sillon lui avait fréquemment montré», désir d’apostolat, amour de la famille et vocation pour le service militaire. L’officier était content d’apporter à son soldat l’encouragement, les bonnes paroles «qui disent de croire» malgré tout.

Vers la mi-juillet, il attend, dans une surexcitation fébrile, les opérations annoncées. La première phase de la «grande tourmente» se déroule selon ses prévisions, et elle est terrible. Presque tous les officiers de son bataillon sont tués ou blessés ; il a perdu dans sa section un sergent et deux caporaux. «Le soleil est de trop, prétend-il, sur cette vision d tristesse… Mon Dieu, Mon Dieu, pitié !»

Ces mots sont les derniers qu’il ait écrits. Le lendemain, 26 juillet, il tombait frappé à la tête. Il avait enlevé avec sa section la crête du Lingekopf et payait de sa vie cette ascension vers une cime d’Alsace !

Selon le récit de son chef de bataillon, la 6e compagnie était en tête de l’attaque. Elle surprit l’ennemi par l’impétuosité de son élan, dépassa la crête et s’arrêta de l’autre côté.

Pour organiser la conquête, il fallut s’exposer. «Le sous-lieutenant Dupin faisait tout son devoir sans hésiter. Une balle le tua net. Ainsi se terminait à peine éclose une carrière d’officier. La noblesse de cœur, l’élévation de ses pensées s’imposèrent à mes réflexions et je saluais respectueusement ce jeune héros».

Noblesse de cœur, élévation de pensées : il est impossible de ne point souscrire à cet éloge. Jusqu’à la fin, comme on l’a fort bien dit, «il eut le souci d’être au premier rang partout, d’être excellent toujours, le plus ponctuel, le plus laborieux, le plus aimable» et, devant la mort elle-même, le plus vaillant pour mériter mieux le bonheur qui ne doit pas finir.

La mémoire du jeune poète mérita bientôt d’être consacrée par des strophes, jaillies du cœur d’un ami. Ces vers seront le cadre où nous aimons à fixer, en terminant cette belle physionomie de jeune homme, ancien de Sainte-Marie :

À l’assaut, l’arme au poing, en guerrier il est mort ;
Et c’était un poète, et c’était un artiste,
Fin, délicat, songeur et mystique, un peu triste,
Comme s’il pressentait un coup haineux du sort.

Un doux rêve, discret, demi-voilé, mais fort,
Dans cet âge où nul cœur à l’amour ne résiste,
Enlaçait chastement son âme d’humaniste,
Bercé par elle ainsi qu’un bel enfant qui dort.

Il tomba transpercé du front jusqu’à la nuque,
Sa courte vie, hélas ! hâtivement caduque,
Eut pour derniers concerts les fracas du canon.

Pour le saisir la mort bondit sur sa pensée,
Broyant et dévorant en sa fleur, l’insensé,
Un esprit magnifique et peut-être un grand nom.

Poète qui craignis de n’offrir au Seigneur
Que «les fruits sans éclat qu’on ramasse par terre»
Et qui, tout pénétré d’un amour salutaire,
Étais toujours resté sans reproche et sans peur ;

Toi qui portais dans le combat ton âme pure
Ainsi qu’un talisman d force et de bonheur,
Quand le vent de la mort effleura ta figure
Et que Dieu vint frapper aux portes de ton cœur,

Tu pus répondre : Me voici, je viens, mon Maître ;
L’espérance et la joie habitaient ma maison,
Je vous donne les fruits que je n’ai pu connaître,
Je vous donne les fleurs de ma jeune maison.

 

1 - Ce jeune Prénat, l’un des fils si regretté de M. Auguste Prénat, de Saint-Étienne, était son meilleur ami. Sa mort l’avait atterré. «Pauvre ami, disait-il, que j’aimais profondément. Il y avait entre nous une chrétienne union, comme on ne saurait en rencontrer que rarement ici-bas».

 

Jules Dupin, Les asecnsions du cœur, couv     Jules Dupin, Journal, 1905-1915, couv

 

 

 

 

la mort du sous-lieutenant Dupin dans le J.M.O.

 

JMO 30e BCA, 26 juillet 1915 (1)

JMO 30e BCA, 26 juillet 1915 (2)
extrait du J.M.O. (journal des marches et opérations)
du 30e Bataillon de chasseurs alpins, à la date du 16 juillet 1915

 

 

 

 

à la mémoire de Jules Dupin

 

les élites sacrifiées (4)

 

les élites sacrifiées (1)

les élites sacrifiées (2)

les élites sacrifiées (3)
Les Fleurs d'or : revue mensuelle, dir. Maurice Rocher, octobre 1915

 

 


 

 

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