les 146 anciens élèves de Sainte-Marie morts pour la France, 1914-1918
Pierre PATISSIER
Pierre Patissier est né le 18 décembre 1876 à Saint-Chamond. Il est mort le 14 septembre 1917 à La Caillette (Meuse). Il avait quarante ans.
Il était prêtre et abbé.
Bibliographie :
- «Nos prêtres au devoir : l'abbé Pierre Patissier, vicaire à la Primatiale, brigadier-aumônier au 46e d'artillerie», Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 30 novembre 1917, p. 343-348. [en ligne]
- abbé Étienne Bornet, L'abbé Pierre Patissier, Montbrison, impr. E. Brassart, 1919.
fiche matricule de Pierre Patissier
fiche matricule de Pierre Patissier, né le 18 décembre 1876
Pierre Patissier
de Saint-Chamond
(1876-1917)
La délicatesse est une qualité rare. Mais c’est une vertu si aimable qu’il suffit d’avoir découvert une âme délicate pour sentir tout ce qui manque aux autres.
Une intelligence vive, primesautière, fine ; un cœur charmant, modeste, généreux, je ne sais quoi de jeune et d’exquis, avec une pointe de malice, où il n’y avait aucune méchanceté, bref, une âme délicate, tel s’épanouit le souvenir de l’abbé Pierre Patissier, dans la mémoire de ses amis.
I - La famille
Pierre Patissier est né à Saint-Chamond le 18 décembre 1876. Il était le cinquième de sept enfants. Son père était dans les affaires. Il ne quitta pas sa ville natale et fréquenta successivement, près de la maison paternelle, l’école des Frères, puis l’école Cléricale, puis le collège des Pères maristes. Il fit sa première communion en l’église Notre-Dame, le 11 mars 1888.
Il fut un élève moyen, bien doué, ni fort en thème, ni paresseux, et assez détaché de lui-même pour n’avoir pas l’ambition de briller au premier rang. Cependant il faisait des progrès et il subit avec avantage, entre seize et dix-huit ans, les épreuves des deux parties du baccalauréat.
C’est d’abord au milieu des siens qu’il faut le replacer pour saisir dans son vrai jour son caractère. À la maison, il mit constamment «du ciel dans les âmes». L’entrain et la joie rayonnaient de sa personne. Mais il était gai d’ordinaire sans exubérance, avec finesse et simplicité.
Donc, au milieu des siens, il sut être le meilleur des fils et le plus charmant des frères.
Depuis l’âge de raison, au dire des témoins quotidiens de sa vie, il a toujours entouré son père et sa mère d’une vénération profonde, d’une sollicitude empressée, d’attentions et de prévenances continuelles.
On n’a pas oublié, dans sa famille, ces scènes touchantes d’intimité, qui se renouvelaient souvent et qui se nuançaient, avec l’âge, de plus de délicatesse et de savoir-faire.
C’était à Saint-Chamond, après le déjeuner de midi, auquel il participait toutes les fois qu’il le pouvait, durant son vicariat dans la paroisse voisine de l’Horme. Sa mère déjà souffrante, allait se reposer sur sa chaise longue. Dès qu’il l’entendait tousser, l’abbé accourait avec ses sœurs. Alors, accoudé près de la vénérable malade, il lui prenait la main dans la sienne et, pour la distraire, se mettait à lui raconter «tous les menus faits de sa vie, ses joies, son travail, ses petits ennuis, dont il ne relevait que les bons côtés» et dont il excellait à tirer des anecdotes amusantes. Puis quand il avait fini, il disait son habituel : «Voilà, petite mère chérie !», l’accompagnait d’un baiser affectueux, taquinait aimablement en passant l’une de ses sœurs et retournait à ses affaires, laissant un rayon de joie derrière lui.
D’autres fois, c’était à la maison de campagne du Colombier, d’où l’on voyait le Mont Pilat. Sachant comme son père aimait son jardin, il proposait spontanément un tour de clos. Et «il admirait chaque fleur, s’intéressait à chaque plante, à chaque arbre, à chaque nid de petit oiseau…» Sans doute, sa riche nature le portait à cette manière de sympathie universelle ; mais c’était surtout sa tendresse filiale qui s’épanchait.
Hélas ! la mort qui avait déjà privé le cher abbé de la tendresse et de l’appui de sa mère, si justement vénérée, vint en décembre 1915, lui porter un nouveau coup et marquer la fin, sur terre, de ce cher foyer où l’harmonie et l’affection mutuelle n’avaient jamais cessé de régner. M. Patissier mourut le 27 décembre ; il avait près de 80 ans.
Dès lors, pour resserrer les liens qui subsistaient, tous les regards se retournèrent d’instinct vers l’abbé Pierre. À partir de ce moment, bien qu’il ne fût pas l’aîné, c’est lui devint, parmi les siens, le personnage principal.
Aussi, désormais, c’est un chassé-croisé continuel de lettres qui lui apportent des nouvelles, des confidences, échos des joies et des peines de chacun, et qui remportent des traits charmants ou héroïques, des encouragements, des consolations.
Il avait un don de sympathie inimaginable. Les émotions et les sentiments des autres faisaient écho dans son âme avec la même intensité que s’il les eût lui-même éprouvées.
Il exprimait donc la plus entière réalité, quand il écrivait à l’une de ses sœurs les lignes suivantes :
- «Je crains ce que tu crains, je désire ce que tu désires, et je demande à Diu de faire cesser tes craintes et de réaliser tes espérances !»
Dès lors, comme on comprend bien ce témoignage rendu à sa délicatesse :
- «Gaieté, oubli de soi pour penser aux autres, tout en lui est un charme. Aucun trait saillant, mais un tissu d’attentions de toutes sortes pour tous. Ses visites étaient des heures exquises, un bonheur, une joie…»
Faut-il ajouter que dans sa famille il avait une prédilection pour les petits ? «L’oncle abbé» avait le secret de se faire aimer. C’est qu’il les aime profondément ces petits ! Il les amuse, il les gâte même, au bon sens du mot. Ce qui ne l’empêche pas de gronder quelquefois et de distribuer d’excellents conseils pour corriger les défauts. En un mot, il sait se faire tout à tous, et possède à un degré supérieur cet art exquis d’attirer à lui par une bonté, une douceur à laquelle nul n’est tenté de résister.
Pierre Patissier, prêtre (1876-1917)
II - Le sacerdoce
Que dire maintenant de sa vie sacerdotale ? Elle ne fut que l’accroissement divin, l’élargissement surnaturel de sa vie de famille.
L’idée de sa vocation lui vint sans doute de très bonne heure. Il est encore tout jeune qu’il traduit son amour de l’idéal et de la beauté sous une forme vraiment caractéristique :
- «Mon Dieu, disait-il chaque soir à la fin de sa prière, faites que je devienne un bon prêtre, un bon peintre et un bon musicien…»
Reconnaissons avec lui que le Bon Dieu s’est contenté d’exaucer la première de ses aspirations : «Je l’en remercie infiniment», disait-il en accompagnant cette réflexion de son bon sourire.
Au moment de quitter le collège, encouragé par son père, il eut quelque velléité de préparer les examens d’entrée à l’École Polytechnique. Mais au cours d’une retraite de fin d’études qu’il fit dans la région lyonnaise, les derniers jours du mois de juin 1894, l’appel divin se précisa.
- «Seigneur, écrit-il dans son carnet de notes, vous m’appelez à lutter contre vos ennemis et les miens… La raison me l’ordonne sous peine de trahir Jésus-Christ et de me damner. Mais le cœur me dit encore de suivre de plus près l’exemple de Jésus-Christ… Jésus, faites-moi la grâce de suivre toujours la voix de la raison. Je veux suivre aussi la voix du cœur, et, si c’est votre désir, je suis prêt à quitter entièrement le monde».
Trois mois après, Pierre Patissier entrait au séminaire d’Issy. Quelle idée se faisait-il du prêtre dans la toute première ferveur de sa vie cléricale ? D’après les notes de son carnet de retraites, ce qui le préoccupe surtout c’est la nécessité d’être prêt désormais à souffrir pour Jésus-Christ :
- «Cela me coûte, donc je le ferai. La vie du prêtre est une guerre continuelle… La vie du prêtre, c’est le renoncement aux choses du monde, aux convoitises de l’argent, aux mouvements de l’orgueil et de la vanité…»
Il reçut la tonsure, le 29 mai 1896. «Je veux être un saint ou n’être jamais prêtre», écrivait-il à cette occasion.
Et encore en précisant :
- «La vie du prêtre, c’est la charité fraternelle dans ce qu’elle a de plus sublime : don de nous-mêmes et de nos cœurs, don de la fortune, don de Dieu lui-même, de ce Jésus, notre seule richesse et notre seul amour».
Les mêmes pensées se retrouvent dans son carnet, à chaque ascension nouvelle, et quand il se prépare aux ordres mineurs en juin 1897, et quand il reçoit le sous-diaconat et le diaconat en 1899, et lorsque enfin il arrive au sacerdoce. La prêtrise lui est conférée à la Primatiale Saint-Jean de Lyon, le 9 juin 1900. Désormais, il va jouir abondamment de la douceur de donner. Et cela convenait particulièrement à la tournure de son caractère. N’avait-il pas écrit un jour :
- «Que ma devise soit : Générosité - générosité dans le sacrifice et générosité dans l’amour».
Désormais, l’abbé Patissier pouvait inaugurer sa carrière ecclésiastique. Il allait montrer ce que peut un très bon ouvrier entre les mains de Dieu.
Il fut successivement vicaire à Saint-Alban-les-Eaux (1900-1902), à l’Horme (1902-1907), à Notre-Dame de Montbrison (1907-1911), et enfin à la Primatiale Saint-Jean de Lyon (1911-1915).
église de Saint-Alban-les-Eaux (Loire) : Pierre Patissier y a servi de 1900 à 1902
église de l'Horme : Pierre Patissier y a servi de 1902 à 1907
église de l'Horme : Pierre Patissier y a servi de 1902 à 1907
église Notre-Dame de Montbrison : Pierre Patissier y a servi de 1907 à 1911
L’un des premiers ministères du prêtre, c’est de s’occuper de la jeunesse. À l’exemple de tous les vrais disciples de Jésus-Christ, l’abbé Patissier eut une très grande prédilection pour les enfants. Il les connaissait bien, il avait toujours vécu au milieu d’eux, il s’était toujours occupé d’eux.
- «Le patronage des garçons qui lui avait été confié, écrit son premier curé de Saint-Alban-les-Eaux, devint prospère sous sa direction… Il avait d’autant plus de mérite à se dépenser ainsi que sa santé, à cette époque, était chancelante. Néanmoins, jamais il ne s’est plaint d’avoir trop de travail ; il le faisait toujours bien gentiment et avec le sourire sur les lèvres».
D’ailleurs, sans se consacrer à une tâche exclusive, il savait répondre à tous les devoirs qui sollicitaient son attention et son zèle.
Il se donnait à ses malades et les visitait non pas en fonctionnaire ecclésiastique, mais ne véritable ami surnaturel. Son assistance discrète, aimable, allait au devant de tous les besoins, et les secours matériels précédaient, s’il le fallait, les secours religieux.
Il se donnait aux humbles qui cherchaient la vérité :
- «Alors même que nous ne devrions sauver qu’une âme pendant tout notre ministère - écrivait-il à vingt ans - ce serait suffisant pour soutenir nos efforts et nous encourager à marcher toujours sans défaillance dans la voie du sacrifice et de la vertu.»
Pour mettre en pratique cette pensée, il ne craignait pas de consacrer ses veilles à l’évangélisation individuelle des ignorants, quand ils avaient de la bonne volonté.
Il se donnait à ses auditeurs de la messe paroissiale et à ses auditrices du catéchisme de persévérance. Ceux qui ont tâté de la parole publique ou de l’enseignement savent qu’il ne suffit ni d’avoir de la facilité, ni d’avoir des diplômes pour parler avec fruit. Aussi l’abbé Patissier se condamna, pour remplir ce ministère, à un travail sans défaillance. Ce labeur fut d’ailleurs récompensé. On l’écoutait avec plaisir et l’on goûtait chez lui la netteté de l’exposition, la simplicité du style, l’ordre et la vie de la pensée.
Il se donnait enfin à tout venant. Il avait le don d’attirer la sympathie, parce qu’il savait être l’homme des autres dans la mesure même où il était l’homme de Dieu, et il se faisait «tout à tous» parce qu’il était tout entier à Jésus-Christ.
l'abbé Pierre Patissier, 1876-1917
On comprend dès lors que dans tous les postes où il a passé, il a laissé des regrets unanimes. Et son âme sensible a senti, elle aussi, la triste mélancolie des changements.
Saint-Alban avait eu les prémices de son sacerdoce. Quand il reçut sa nomination de vicaire à la paroisse plus importante et plus ouvrière de l’Horme, bien que celle-ci fût toute voisine de Saint-Chamond, où habitaient ses parents, il éprouva un véritable chagrin. Ceux qui furent ses confidents, quand on le transféra plus tard de Notre-Dame de Montbrison à Saint-Jean de Lyon, savent aussi que le sacrifice fut pénible comme la première fois.
Ainsi donc, le cher abbé Patissier réalisait pleinement cette pensée écrite au temps de sa jeunesse cléricale :
- «Le prêtre n’est pas fait pour soi, mais pour les autres. Les vertus vraiment sacerdotales sont donc l’esprit de sacrifice et de charité».
Mais ce fut la guerre qui révéla tout la mesure de sa foi, de son énergie et de son dévouement. Humblement commencée dans sa famille, accélérée par l’exercice de sa vocation, son ascension vers l’idéal s’est achevée dans l’héroïsme.
III - La guerre
C’est au fond de la Savoie, dans un petit village, que le surprit le tocsin de la mobilisation.
Rentré à Lyon, il se remit au ministère paroissial avec son dévouement habituel. D’une santé délicate à vingt ans, il avait été exempté du service militaire. La guerre le trouvait dans cette situation. Ce fut pour lui vraiment une grosse épreuve. Il avait peine à se contenir. Il désirait ardemment jouer son rôle en pleine lutte. Il avait soif de donner l’exemple dans les actions les plus pénibles et dans les endroits les plus périlleux. Toutefois il ne hâta point son heure. Il écrira plus tard : «Tâchons de faire notre devoir le mieux possible, là où la Providence nous a placés». Il accepta ce programme dès le commencement, en refrénant ses impatiences et en continuant d’être simplement l’excellent vicaire qu’il avait toujours été.
Vint la première révision des réformés. Le 30 novembre 1914, il fut déclaré «bon pour le service armé». Il en éprouva une sorte de fierté et soulagement. Enfin il allait avoir sa part des grands sacrifices et des grandes privations ; il serait un peu plus «le sel de la terre», et «la lumière sur le chandelier». C’était tellement ce qu’il voulait qu’un an après, quand il aura déjà beaucoup souffert et passé par le creuset de Verdun, il fera tout ingénument cet aveu :
- «Je n’ai jamais reculé devant le travail. Je m’efforce d’être gai… Je suis heureux de faire mon devoir et tout mon devoir».
Comme tant d’autres, il fut d’abord infirmier militaire : le 9 février 1915, il arrivait au dépôt de la 13e section d’infirmiers à Clermont-Ferrand. Il quitta, paraît-il, ce jour-là, sa soutane avec une véritable et profonde émotion. En la laissant, il soupira : «Quand la reprendrai-je ?», comme s’il avait eu le pressentiment d’un adieu définitif. En tout cas, il aurait pu se rendre le témoignage d’avoir parfaitement réalisé le souhait formulé par sa mère, quand il avait été question de la revêtir pour la première fois, en 1895 : «Nul ne sera plus heureux que moi de ta la voir ; mais quand tu l’auras, que ce soit pour la porter toujours, et toujours dignement».
Pierre Patissier arrive au dépôt de la 13e section d’infirmiers à Clermont-Ferrand en février 1915
Il a trente-huit ans, il n’a jamais été l’hôte d’une caserne, et il n’envisage, dans cette nouvelle situation, qu’un moyen de dépenser plus largement, au service de ses compatriotes, les trésors de charité et de bonté qu’il tient de son éducation familiale et de son sacerdoce, et qui lui paraissent, plus que jamais, dans la crise, toute sa raison d’être.
Enfin son tour de partir pour le front arrive le 25 mars 1915. Il est d’abord envoyé à Troyes, à la réserve du personnel sanitaire de la 4e Armée ; puis, de là, le 16 avril, à l’hôpital d’évacuation d’Arcis-sur-Aube, et enfin en mars 1916, il monte à Verdun.
Arcis-sur-Aube, école transformée en hôpital d'évacuation :
Pierre Patissier y a servi d'avril 1915 à mars 1916
Arcis-sur-Aube, école transformée en hôpital d'évacuation :
Pierre Patissier y a servi d'avril 1915 à mars 1916
Sa belle sérénité ne l’abandonne pas.
- «Nous voilà partis ! Hier, première étape de vingt-cinq kilomètres. Comme dit la chanson : Les godillots sont lourds dans le sac. Où allons-nous ? Je l’ignore… Pas au pays où fleurit l’oranger, plutôt à celui où poussent les grenades. Mais tout va bien. Ne vous en faites pas plus que moi et priez un peu pour les petits soldats de France».
Il eut alors à passer quelques journées horribles dont il allait voir l’épouvante se renouveler, pour lui, bien des fois au cours de la dernière année de sa vie. Quel fut, au milieu de cette fournaise, son principal soutien ? C’est un secret qu’il ne faut demander qu’à lui-même.
Aussi bien, l’a-t-il révélé avec une grâce charmante, dans une lettre qui est peut-être la plus exquise qu’il ait écrite au cours de la guerre. Elle est datée du jour même - 18 mars - de son arrivée à Esnes, ce «pauvre et malheureux village» de la région du Mort-Homme, «qui reçoit en moyenne cinq cents obus par jour», et il s’adresse à l’un de ses confrères d Saint-Jean :
- «Je viens de passer un traité avec le Bon Dieu. Toutes les fois qu’une marmite me force à faire la génuflexion ou, plus souvent, la prostration, je le prie de considérer mon geste comme un acte d’adoration et, de fait, mentalement ma pensée s’élève jusqu’à lui. Les distractions, il est vrai, arrivent vite, avec l’éclatement de l’obus et le bourdonnement des petites abeilles coupantes qui voltigent autour de vous. N’empêche que c’est un bon exercice spirituel (heureusement pas à la portée de tout le monde) ! Et si jamais une de ces marmites devait me frapper, je mourrais dans cet acte d’adoration. J’espère bien que, dans ce cas, le Bon Dieu me permettra de le continuer immédiatement dans le ciel».
Si quelque compilateur réunit un jour les documents qui font la Légende Dorée de la guerre, n’est-il pas vrai que cette pièce pourrait orner l’une des plus jolies pages de son livre ?
Il manquait pourtant quelque chose à l’abbé Patissier pour être pleinement lui-même. Simple infirmier militaire, l’exercice de son ministère lui était mesuré. Il eut une année pour montrer ce que peut un soldat-prêtre. Il allait faire voir désormais ce que peut un prêtre-soldat.
En effet, dans le temps même de son premier séjour à Verdun, des démarches furent entreprises pour obtenir sa mutation, en qualité d’aumônier brancardier, au 46e régiment d’artillerie de campagne, et, le 20 avril 1916, il recevait l’ordre de rejoindre son nouveau poste.
Pierre Patissier, sous l'uniforme, avec sa médaile (Croix de guerre),
sa croix d'aumônier et son brassard de brancardier (1917 ?)
Quelle idée devait-il se faire de ses nouvelles responsabilités. Il l’exprime nettement dans une lettre intime. «Il me faudra à force de tact, de doigté, de dévouement surtout, arriver à me faire ma place, à conquérir l’ascendant sur les hommes et les officiers, qui pourront rendre mon ministère utile à la sainte Église, et aux âmes à moi confiées. Un moyen excellent sera de me porter toujours aux endroits les plus exposés».
Qu’il ait pleinement réussi à s’imposer au respect et à la confiance de tous, les témoignages sont unanimes à le reconnaître.
Il y a d’abord l’humble hommage de ses plus modestes frères d’armes :
- «Il n’y avait que cinq ou six jours que notre cher abbé était parmi nous, et il avait déjà, en si peu de temps, acquis la sympathie de tous ; en remontant aux positions, quelques temps après, nous étions tous heureux d’avoir comme compagnon un ami aussi dévoué et bon» (lettre du brigadier N… du 27 septembre 1917).
Les lettres d’officiers et de chefs supérieurs viennent renchérir encore sur ces témoignages.
- «Vous trouverez surprenant, écrit son médecin-chef, que je pense si souvent à notre pauvre abbé. Si vous m connaissiez, vous comprendriez… Seul, parmi beaucoup, l’abbé Patissier restera dans mon cœur et dans mon esprit, comme le modèle du catholique sincère, du prêtre ayant fait tous les sacrifices… Je le vis vivre et je le vis souffrir, et je le vis heureux de partager sincèrement et absolument les misères atroces de ceux dont il «était l’ami… Il se portait vers les blessés avec mieux que du courage : de l’amour».
C’est ainsi qu’il gagna sa première citation, le 24 mai 1916, en allant chercher, sous une pluie d’obus, un blessé qui fut tué par un projectile, sur le brancard que l’abbé portait.
Il eut donc, tous ces témoignages le prouvent, une influence extraordinaire sur son entourage immédiat.
Mais on devine aussi que sa foi robuste, son esprit surnaturel, toujours en éveil, furent en même temps le principe et la fin de son courage, de son zèle et de son dévouement. Il était facile de s’en rendre compte autour de lui.
- «À côté de ses qualités de courage et de dévouement, dit un témoin qui l’a vu à l’œuvre au 46e d’Artillerie, quelle largeur d’esprit était la sienne ! J’ai quelquefois assisté à des discussions passionnées, toujours très amicales, qu’il avait sur les questions religieuses, avec un lieutenant de la batterie. Leurs idées étaient généralement très différentes, mais leurs opinions opposées ne les empêchaient pas d’être tous les deux d’excellents amis».
Ainsi passait-il partout en faisant le bien, avec cette modestie et cette simplicité qui furent toujours l’un des charmes de sa physionomie sacerdotale. C’est pourquoi tous ceux qui le connurent s’attachèrent si fortement à lui ! Et les cœurs qui l’aimèrent le plus n’eurent pas toujours le loisir de le témoigner. Combien sont morts entre ses bras, consolés et réconciliés avec Dieu, au cours de ces randonnées nocturnes, qu’il accomplit parfois sous d’effroyables bombardements et qu’il appelait joliment, par amour du contraste, ses «promenades sentimentales au clair de lune».
Une promenade de ce genre, accomplie en plein jour, il est vrai, finit par lui coûter la vie. Mais il était prêt depuis longtemps au suprême sacrifice. Il n’avait jamais placé toutes ses espérances ici-bas. La formidable épreuve humaine où il était jeté, la guerre, dont il connut en détail toutes les horreurs, les servitudes et les dégoûts, et dont il a pressenti les navrantes conséquences - que la victoire elle-même, hélas ! n’arrêtera pas - était bien faite pour achever de le convaincre que les doux, les pacifiques et les purs, «ceux qui ont faim et soif de la justice», n’ont leur véritable et définitive demeure que «dans le royaume des cieux».
On n’a pas oublié le joli pacte d’abandon qui marqua son arrivée dans le secteur de Verdun : «Je viens de passer un traité avec le Bon Dieu…» Le «traité» dura jusqu’au 14 septembre 1917. À cette date, un vendredi, en la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix, presque vers trois heures de l’après-midi, «dans ce coin de terre que, dans toute la France, on a appelé un enfer», il fut frappé mortellement en secourant un blessé.
C’était au ravin de la Caillette, sur la rive droite de la Meuse. Une fois de plus, son groupe était soumis à un terrible bombardement. Un des brigadiers téléphonistes, posant une ligne, fut atteint par un éclat, et transporté au poste de secours. Là «comme toujours», l’abbé avait secondé le major, l’«aidant à faire le pansement et à injecter le sérum». Puis, tandis que celui-ci remettait ses instruments en place, il avait tenu à porter lui-même, avec trois hommes, le brancard sur lequel reposait le blessé. Il fallait faire cent mètres environ pour atteindre l’auto qui devait l’emporter.
- «Par quel concours de circonstances, ajoute le médecin qui avait présidé à l’opération, l’abbé ne revint-il pas à mon poste et, le dépassant, pourquoi voulut-il aller au poste du commandant ? Je l’ignore. C’est entre mon poste de secours et celui du commandant, tous deux distants de cinquante mètres, que notre cher ami fut frappé. Je fus averti cinq minutes plus tard et je me précipitai vers le poste. Mon pauvre ami avait été frappé à la tête, avec une fracture de la base certaine : le coma avec la mort fatale dans quelques minutes. J’essayai de l’appeler ; tout fut inutile. Je fis immédiatement appeler l’abbé Ravabelle, aumônier au 268e d’Artillerie, qui eut le temps de venir lui administrer l’extrême-onction. Au bout de dix minutes, sans souffrance apparente, les yeux fermés, il rendit le dernier soupir. Je pris alors sa croix d’aumônier, ses papiers, sa montre, tout ce qu’il avait sur lui, pour que tous ces souvenirs fussent remis à sa famille ; je mis son chapelet et sa médaille d’identité autour de son cou, je lavai sa tête et sa figure intacte, je croisai ses mains et je récitai un De profundis».
Ici, il convient de laisser la parole à un nouveau témoin, le médecin-chef du poste lui-même.
- «Je dormais à l’échelon dans un gourbi que je partageais avec le vétérinaire et notre bon ami N. Le maréchal-des-logis D. nous réveille en sursaut : - Je redescends le corps de M. Patissier. Nous étions assommés ! Et j’ai sangloté comme si un immense malheur m’arrivait à moi qui ne lui étais rien. L’abbé de Montalban a fait avec nous pour les funérailles tout ce qu’il fallait. Il était très ému. Le corps de l’abbé fut suivi par une foule de non catholiques et même par des anticléricaux qui avaient à cœur de lui témoigner leur affection, leur respect, leur admiration et leur reconnaissance à celui qui avait su donner tous les exemples, accepter toutes les misères, souffrir toutes les douleurs, cela sans affectation, sans arrière-pensée, parce qu’il était un noble prêtre».
Sous la date du 26 mai 1896, à vingt ans, dans un petit carnet de notes intimes, Pierre Patissier avait inscrit la pensée que voici :
- «Ô mon Dieu, accordez-moi le genre de mort qui seul convient au genre de vie auquel vous m’avez appelé, la mort par le martyre ; que je sois appelé à répandre en une fois tout mon sang pour la défense de votre saint nom, ou bien encore que je vous donne ma vie goutte à goutte, dans les fatigues et les douleurs de l’apostolat !»
Il a commencé par les «fatigues et les douleurs de l’apostolat», il a donné d’abord sa vie «goutte à goutte». Et puis, il a fait la mort qu’il avait rêvée.
l'abbé Pierre Patissier est mort au ravin de la Caillette (Verdun)
Pierre Patissier est mort au ravin de la Caillette, au nord-est de Verdun
ravin de la Caillette (Verdun), photo, 1917
ravin de la Caillette (Verdun), photo
Historique du 46e R.A.C., extrait de la liste des morts
la mort de Pierre Patissier est annoncée dans L'Action française du 15 octobre 1917
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